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IAS 19 – IDR / IFRIC : Une interprétation tardive aux impacts significatifs

8 Nov 2021 | Also Décrypte

L’IFRIC (International Financial Reporting Interpretations Committee), en charge d’élaborer les interprétations des normes comptables internationales IFRS, s’est réuni en décembre 2020 autour d’une interrogation sur la méthode d’attribution des droits de certains régimes à prestations définies. Dans ce cadre, l’IFRIC a adressé son interprétation en avril 2021 à l’IASB (International Accounting Standards Board) qui a pour conséquence directe la modification du calcul retenu jusqu’alors pour les engagements des régimes concernés.
L’IASB n’a pas émis de réserve concernant cette proposition d’interprétation sur la période d’attribution des droits et a accepté en juin 2021 cette évolution en normes IFRS. En revanche, l’Autorité des Normes Comptables (ANC) s’étant d’abord montrée réticente quant à l’utilisation de cette méthode, ne s’est pas à ce stade prononcée sur l’application de cette interprétation.
Si son application fait débat dans le contexte français, les auditeurs préconisent cependant d’appliquer cette décision dans la mesure du possible pour les évaluations établies au 31/12/2021 pour les régimes concernés.

Périmètre des régimes concernés:

L’analyse de la position de l’IFRIC précise que les régimes concernés sont ceux attribuant :

  • des droits plafonnés à partir d’un certain nombre d’années d’ancienneté,
  • des droits conditionnés à la présence dans l’entreprise au moment de la retraite.

Les régimes d’Indemnités de Fin de Carrière (IFC), qui concernent l’ensemble des salariés français, rentreraient pour beaucoup dans cette définition, en particulier lorsqu’ils sont calculés à partir d’une table de droits :

  • Plafonnée. A titre d’exemple, la Convention Collective Nationale (CCN) des transports routiers est concernée puisqu’elle n’octroie plus de droits supplémentaires après 30 années d’ancienneté : un salarié sortant avec 35 ans d’ancienneté percevra effectivement la même indemnité que s’il en avait 30. Nous appellerons « ancienneté plafond », cette ancienneté minimale permettant d’acquérir le droit maximal (dans la CCN des transports routiers, elle est donc de 30 ans).
  • Par palier. Par exemple, la CCN des organismes de transport octroie les mêmes droits à un salarié ayant entre 1 et 5 ans d’ancienneté, entre 6 et 10 ans, entre 11 et 15 ans, etc. Nous appellerons « ancienneté palier », l’ancienneté minimale pour obtenir les droits d’un palier (dans notre exemple, les « anciennetés paliers » sont de 1 an, 6 ans, 11 ans, etc.).

D’autres régimes seraient concernés tels que par exemple les régimes de retraite supplémentaire à prestations définies ayant des droits plafonnés. En revanche, les médailles du travail ainsi que les indemnités de fin de carrière dont les droits ne sont pas plafonnés à partir d’un certain nombre d’années d’ancienneté ne sont pas concernées.

Méthode de calculs de l’engagement retraite:

En norme IAS 19, il existe deux méthodes de calcul pour évaluer l’engagement à comptabiliser (PBO ; droits passés) :

La méthode A, la plus répandue en France, consiste à linéariser l’acquisition des droits obtenus à terme, entre la date d’entrée et la date de départ à la retraite estimée (la période de linéarisation est donc égale à l’ancienneté au terme).
La méthode B, peu répandue en France, consiste à calculer l’engagement en fonction des droits réellement acquis à la date d’évaluation (donc selon l’ancienneté actuelle).
L’interprétation de l’IFRIC nécessite de faire évoluer ce calcul et donc d’appliquer une nouvelle méthode lorsque la table des droits est plafonnée et que les droits sont conditionnés à la présence dans l’entreprise au moment du départ à la retraite. Nous nommerons cette méthode, la méthode C. Dans les autres cas, la méthode A reste la méthode à privilégier.

La méthode C concerne donc les salariés qui devraient acquérir les droits plafonnés ou un palier lors de leur départ à la retraite. Elle consiste à linéariser les droits uniquement sur la période nécessaire à atteindre le droit « plafond ». Cette période peut être définie par la date de retraite théorique et une date d’entrée fictive permettant d’obtenir, à terme, une ancienneté égale exactement à l’« ancienneté plafond » ou à l’« ancienneté palier » (la période de linéarisation est donc égale à cette ancienneté). Cela implique que l’engagement est nul lorsque la date de calcul n’a pas atteint la date d’ancienneté fictive et que la période de linéarisation est réduite (puisque la date d’ancienneté fictive est nécessairement postérieure ou égale à la date d’ancienneté réelle).

Une conséquence directe de cette évolution est l’augmentation de la sensibilité de l’hypothèse de l’âge de départ à la retraite. En effet celle-ci a un impact d’autant plus sensible que la période d’acquisition est réduite. Elle doit donc se rapprocher le plus possible de la réalité.

En revanche, le calcul de la Valeur Actuelle Probable (VAP) de l’engagement n’évolue pas. Ce n’est que la période d’acquisition et donc la méthode de proratisation qui évolue (calcul de la PBO).

Pour illustrer nos propos, nous avons comparé les méthodes A et C à partir de l’exemple d’une table plafonnée : celle de la CCN des transports routiers. Nous avons pris le cas d’un salarié qui aura acquis 44 ans d’ancienneté lors de son départ à la retraite. La méthode C s’appliquerait donc bien, puisque :

les tables de droits IFC de la CCN des transports routiers sont plafonnées à 30 ans,
l’ancienneté du salarié à terme sera supérieure à l’« ancienneté plafond » de 30 ans.

Méthode de calculs de l’engagement retraite:

Nous constatons tout d’abord que la courbe jaune est toujours située sous la courbe noire : la méthode C entraine donc une dette actuarielle plus faible que la méthode A.
De plus, nous distinguons un palier à 0% dans l’évolution de la PBO de la méthode C : la provision est effectivement constituée plus tardivement (au bout de 14 ans d’ancienneté, dans notre exemple). Cependant, la dette actuarielle est identique à terme (et égale à la prestation à payer) : la période de linéarisation est plus courte (elle passe de 44 ans à 30 ans). L’évolution de la PBO est, par conséquent, plus rapide que celle de la méthode A : la pente de la courbe jaune est effectivement plus « raide » que celle de la courbe noire.
L’impact sur l’engagement lié à ce changement de méthode varie d’une société à une autre du fait de la démographie de la population (si la population est proche de l’âge de retraite l’impact sera moindre) et des CCN par lesquelles sont régies les salariés. A titre d’exemple, nous avons répertorié pour trois CCN une fourchette d’impacts sur l’engagement.

Impact sur le service cost:

Pour rappel, le service cost correspond au cout d’une année de service supplémentaire et répond à la question suivante : quel est le montant de la variation de la PBO dû au titre d’une année d’ancienneté supplémentaire ?
Ainsi la période d’acquisition des droits étant raccourcie avec la méthode préconisée par l’IFRIC, les dotations à la provision vont donc être plus importantes pour pouvoir constituer le bon niveau de provision au moment du départ du salarié.
Nous avons représenté le même coefficient de proratisation que ci-dessus, pour différentes années d’ancienneté acquises à la date d’évaluation, en faisant apparaître la partie de la PBO liée au service cost (qui constitue une charge comptable en IFRS).

Lors des premières années de présence du salarié dans l’entreprise (avant la 15e année), nous constatons que la charge sera diminuée. Puisqu’aucune provision n’est constituée, le coefficient de calcul du service cost est nul, alors qu’il vaut 1 / « Ancienneté au terme » dans la méthode A.
Lors des années suivantes, nous constatons que la charge est plus élevée : le bloc gris foncé est effectivement plus épais que le bloc gris clair. Cela s’explique par la période de linéarisation plus courte : le coefficient de calcul du service cost de la méthode A vaut 1 / « Ancienneté au terme », alors que celui de la méthode C vaut 1 / « Ancienneté plafond ».
Finalement, l’impact de la méthode C sur le service cost dépend de l’ancienneté à la date d’évaluation du salarié :
Si l’ancienneté actuelle est située dans le palier à 0%, le service cost sera diminué.
Sinon, le service cost sera augmenté.

Impacts comptables:

L’impact de cette nouvelle méthode nécessite un traitement comptable particulier. D’après les premiers retours des auditeurs, il s’agit d’un changement de méthode (et non d’une correction d’erreur). Théoriquement et d’un point de vue très « puriste », la comptabilisation devrait donc se faire en report à nouveau au 01/01/2020 avec un restatement complet de l’année 2020.
Néanmoins dans la pratique, il semblerait qu’une approche beaucoup plus pragmatique, avec un traitement comptable adapté à chaque entreprise, soit retenue et dépendant notamment de la « matérialité » de l’impact (matérialité non seulement sur le régime concerné mais surtout aux bornes du Groupe). D’ailleurs, l’écart lié à ce changement de méthode est la plupart du temps traité directement au cours de l’exercice 2021 via l’OCI (Other Comprehensive Income, comme les écarts actuariels), voire via le P&L (résultat) selon la matérialité de l’impact et selon l’historique des précédents traitements similaires par le passé (selon le principe de la permanence des méthodes comptables).

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